Chapitre 6

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Les puissances emmenèrent Michaël à l'extérieur du nid. Là, els le firent rejoindre un groupe de vertus, elles aussi escortées. Elles affichaient toutes de grands sourires, les yeux remplis d’émerveillement. Quand elles virent la mine paniquée de Michaël, elles rirent. 

— Ça va ? Il t’arrive quoi ?

— Je… euh… que se passe-t-il ? Pourquoi on est là ?

— Bah ! Tu as bu trop de jus de grenade ou quoi ? plaisanta l’une des vertus. Zinebiel nous invite à la capitainerie !

— Hein ?

— El invite tous ceux qui ont donné les bonnes réponses à ses questions lors de la conférence. Tu n’étais pas au courant ? 

— Ah… je suis parti avant la fin malheureusement…

Les vertus poussèrent quelques soupirs condescendants. Puis les puissances du Domitia les mirent en ordre comme s’els s’apprêtaient à escorter une sortie scolaire. Au final, plusieurs dizaines d’intellos chanceux furent invités à décoller pour rejoindre les hauteurs de la cité-vaisseau. Michaël admira les six piliers qui dominaient la ville, soutenant toute la structure du Domitia et abritant en même temps d’innombrables nids. Ils étaient toujours semblables à une ruche, grouillant d'élohim, dont les voix résonnaient dans l'immensité. Plus loin, perchée dans le ciel artificiel se tenait une structure en forme de flèche, qui accueillait la station de pilotage du Domitia. C'est là-bas qu'on emmena les heureux élus, dans une navette spécialement apprêtée.

Au bout d'une trentaine de minutes de vol, les élohim arrivèrent dans la Flèche. Els entrèrent dans un couloir vertical large de deux cents mètres. Ses parois illuminées depuis les hauteurs étaient peintes de scènes antiques, représentant les exploits des Grands Anciens. Michaël reconnu ceux de Sandalphon, et vit même la représentation du Pendu. Ces belles fresques étaient faites d’or, d’argent, de bronze et bien sûr, comme toute œuvre venue de Hod, de mercure vivant. Les vertus admirèrent cet art, qui venait de leur royaume, avec fierté. 

Arrivant au bout de ce passage, les vertus chanceuses furent invitées à se poser sur le pont de commandement. Les puissances les escortèrent dans un grand espace ovale, qui ressemblait beaucoup à l’intérieur d’un œuf géant. Malgré la présence de nombreux élohim et de nombreuses lumières en néon, l’endroit, aux murs de bronze, semblait assez sombre. Les vertus furent guidées sur une passerelle qui longeait les contours de l’œuf. De là, els purent observer le pont central, où plusieurs dizaines d’élohim s’affairaient autour d’une table ronde, surplombée d’un hologramme doré. Parmi els se trouvaient des chérubins-navigateurs, avec leur troisième œil sur le front, qui décidaient du chemin que prenait le Domitia jusqu’à sa destination. Els étudiaient le trajet et communiquaient via le réseau EL avec les navigateurs qui se trouvaient dans le cœur du vaisseau, dans la sphère flottant là dehors.

— Non nous ne pouvons pas aller voir le cœur du vaisseau, répondit une puissance lorsqu’une vertu curieuse demanda. C’est un moteur sacré auquel seuls les chérubins navigateurs ont accès. Els ne doivent pas être dérangés. 

Autour de la table. Il y avait aussi des puissances et des vertus, qui portaient l’uniforme bordeaux de la capitainerie. Michaël se pencha par-dessus la rambarde de la passerelle latérale. Au fond de l'œuf, tout en bas, sous le pont de commandement, se trouvaient des centaines d’œufs individuels, qui luisaient d’une couleur dorée. Il s’agissait de postes de commandes, occupés par des chérubins. Ces derniers contrôlaient ainsi tous les systèmes du vaisseau, l’architecture cristalline du réseau EL, les systèmes de défense, d’offense, de ventilation. Les visiteurs s’extasièrent devant leurs œuvres et leur comportement si sérieux, concentré, professionnel. 

— Els sont très dédiés ! EL doit être fier d’eux. 

— Els pilotent à els seuls un vaisseau de plusieurs kilomètres de long !

Michaël, malgré son angoisse, sourit. El avait bien connu le pont de commandement du Mercuria, barge de guerre de Raphaël. El avait passé beaucoup de temps dessus, car c’était là où se décidaient les assauts à venir. Ici, heureusement, pas de danger à l’horizon. 

Les puissances laissèrent les visiteurs observer l’endroit quelques minutes, puis els leur firent traverser la passerelle pour accéder à l’autre côté de l’œuf. Els passèrent une double porte et arrivèrent dans un grand vestibule. Le sol était revêtu d’un parquet lustré, les murs étaient gravés d’or. De grandes fenêtres donnaient sur un jardin très ordonné. Des chemins de graviers séparaient de grandes étendues de pelouse. Des haies multicolores étaient taillées de formes harmonieuses et précises. Michaël contempla le ciel mauve au-dessus de ce paysage typique d’une région de Hod appelée Tophana. Ce domaine avait tout de celui d’un archange. Pourtant…

— Bienvenue ! salua Zinebiel, venu accueillir les visiteurs. 

Michaël tressauta et n’osa croiser le regard de la domination. Cette dernière conduisit ses invités dans les quartiers de la capitainerie et les installa dans un grand salon. Meublé de fauteuils de soie beige, l’endroit était décoré de tapisseries fines aux motifs précis et délicats. Des vertus de service apportèrent des boissons et de mignardises aux invités. Mais ces derniers furent surtout intéressés par les nombreux artefacts exposés dans le salon. Michaël, habitué aux collections des archanges, fut tout de même impressionné par leur qualité et quantité.
Dans des vitrines étaient exposées des serpes cérémonielles en métal brillant, qui servaient autrefois à couper les filets de thaumaturgies et qui étaient encore souvent portées par les vertus lors des cérémonies. Il y avait aussi des jouets casse-têtes dont les vertus raffolaient, des parties d’armures ou d’uniformes et plein de petits bibelots aux fonctions incertaines. Mais le plus intéressant était la collection d’anciens appareils de navigation, sortes de boussoles en métal poli, construites autour d’un cristal luisant. Certains de ces appareils dataient d’avant la Seconde Brisure et avaient servi à guider les élohim dans leurs voyages inter-célestes à tire-d’aile, quelque chose d’inimaginable aujourd’hui, en ces temps de ténèbres. Michaël remarqua que Zinebiel portrait un de ces artefacts autour du cou. Fascinée, mais encore angoissée, la jeune vertu fit de son mieux pour mimer la légèreté des autres visiteurs et se fondre ainsi dans le décor.

Je devrais contacter Nana, pensa Michaël. Ici, dans le Domitia, el n’avait pas besoin du support d’un cristal pour se connecter au réseau EL et discuter télépathiquement avec son complice. La lumière ambiante générée par le million d’élohim passagers suffisait amplement à porter le réseau. Mais si Zinebiel l’avait démasqué, leur conversation privée risquait d’être interceptée par un de ces chérubins sur le pont de commandement. Comment faire ?

Au centre du salon, Michaël remarqua qu’un grand cristal rond était posé. El s’en approcha, projeta son halo dedans et voulu explorer le réseau. Cependant, le cristal ne donnait accès qu’à un réseau privé de la capitainerie, ouvert aux passagers. Les quelques élohim qui y étaient connectés y exploraient la documentation publique du Domitia. Une carte très détaillée du vaisseau y était exposée, ainsi que des guides, des renseignements. Michaël trouva une rubrique très intéressante qui faisait l’inventaire des passagers du vaisseau. Il y avait bien un million de puissances à bord pour huit cent mille vertus, principalement des vertus militantes et des médecins. Il y avait aussi des milliers de principautés, présentes pour divertir les passagers. Chanteurs, danseurs, artistes et même des travailleurs du sexe, indispensables pour maintenir le moral et le bien-être des troupes. Michaël observa la répartition de tout ce beau monde dans le grand vaisseau. La logistique et l’organisation nécessaires pour transporter tant d’élohim étaient le pinacle de l’art des vertus de soutien. Michaël, vertu militante dédiée au combat, admirait la patience et la minutie de ces gestionnaires, qui empêchaient les populations élohiennes innombrables de se faire emporter par leurs natures désordonnées. Le chaos n’était pas réservé aux démons. Les enfants d’EL se battaient aussi contre leur frénésie intérieure, qui avait régné jusqu’à l’arrivée de Sandalphon. Tant de travail, se dit Michaël. Mais voir les flux du Domitia circuler harmonieusement était incroyablement satisfaisant. 

Le temps passa. Quand Michaël sortit de son exploration, el leva les yeux et vit qu’il n’y avait plus personne. El regarda autour d’el, choqué, puis jeta des coups d'œil dans les pièces adjacentes. Personne. Les quartiers de la capitainerie étaient à présent vides. Un terrible doute s’empara de Michaël. La jeune vertu s’approcha d’un miroir, observa son reflet, toucha la surface lisse du bout des doigts. 

— Tu ne sais pas traverser cela mmh ? Pourtant le sang d’Adam est en toi. 

Michaël sursauta, se retourna. El vit Zinebiel au milieu du salon, à côté du cristal rond. 

— Je peux sentir son odeur dégoutante des mètres à la ronde, dit la domination.

Son long visage était fermé, sa bouche crispée par le dégout. 

— Je… je ne comprends pas de quoi vous parlez, mentit Michaël en maintenant une expression froide. 

— Je sais qui tu es. Je n’ai même pas eu besoin de lire entre les étoiles pour déduire ton identité…

— Je suis Mikiël de Kokab, interrompit Michaël, refusant d’admettre sa défaite

— Il m’a suffi de me balader dans le réseau EL quelques instants, continua Zinebiel. J’ai vu le combat entre l’archange et son apprenti dans le stade. Puis ma capitainerie s’est confrontée aux contrôles des hodiens. Puis je t’ai vu dans l'amphithéâtre et j’ai senti le fer. Le fer dans tes veines. Même à travers le réseau. El était dans ta voix.

Michaël resta figé, aussi stupéfait qu’horrifié par l’ampleur de son propre échec. 

— J’ai dit à Géhenna de rester hors de mon vaisseau. Hors. de. mon. vaisseau. Lequel de ces mots Vilanel n’a-t-el pas compris ? 

— Nous ne sommes pas là pour vous nuire, souffla Michaël. Géhenna n’est qu’une chorale diplomatique. Nous ne faisons que voyager…

 — Oh ! 

L’expression de Zinebiel changea. Un sourire illumina son visage. La colère dans ses yeux se mua en hilarité. 

— Tu ne sais même pas qui els sont ! s’esclaffa la domination. 
Michaël secoua très légèrement la tête. 

— Géhenna sont les services secrets de Guebourah ! révéla Zinebiel. Ennead ne t’a t’el rien appris ? 
Soudain, un bruit de craquement résonna. 

— Raphaël l’a éduqué. Tu comprendras donc ses lacunes. 

Nana venait d’émerger du miroir derrière Michaël. D’une calme précision, el brandit un grand fusil vers Zinebiel, qu’une frayeur fit trembler. Mais Michaël garda son regard sur Nana. El m’avait dit qu’el ne pouvait passer dans le Reflet et pourtant…

— Tu les as appelés ? aboya Nana vers Zinebiel.

— Qui ? râla la domination.

— Hod ! Ennead par EL ! Ne me prends pas pour un abruti !

— Je ne fais que servir mon royaume et mon archange-roi Daniel. 

— Ha ! s’esclaffa Nana. Toi ? Tu sers Hod ?

— J’ai commis de graves erreurs par le passé en travaillant avec vous, dit Zinebiel. Mais c’est terminé. Notre capitainerie ne se laissera pas utiliser par des brutes étrangères. Vous avez retourné les hodiens contre leur propre roi…

— Je n’ai pas le temps pour ces conneries, soupira Nana. Si t’es pas content envoie un mail à Vilanel. 

Cela dit, Nana abaissa son fusil et tira sur sa propre cuisse. Un projectile de sang rouge entra en el. Puis el attrapa le bras de Michaël et plongea dans le miroir. 

Un liquide brûlant s’engouffra dans la gorge du jeune prince. El se débattit dans ce qui semblait être un océan de mercure liquide. Nana nagea, tout en tirant Michaël par la base des ailes pour l’entrainer ailleurs. Les poumons de la vertu se remplirent d’un air visqueux irrespirable. La douleur devint insupportable. Mais Nana persévéra et soudain, Michaël se retrouva étalé sur un sol de carrelage. Terrassé, el éructa encore et encore pendant que Nana se relevait. Boom boom bomm, quelqu’un tambourinait sur la porte du vestiaire. 

— Oui oui ! C’est bon ! On va sortir ! pesta Nana.

El attrapa de nouveau Michaël et le mit debout. Laissant à peine le temps au jeune prince de se remettre, el sortit des vestiaires pour laisser place aux autres élohim du nid 666. Nana et Michaël débarquèrent dans leur chorale et se cachèrent dans un coin près des capsules-œufs de sommeil. Alors qu’el retrouvait ses esprits, Michaël vit que le nid était bien rempli. Tous les élohim étaient présents. Els étaient agités, agacés Sur le cristal central, un message s’affichait, résonnant dans le réseau local. 

“Contrôles de sécurité en cours. Veuillez rester dans votre nid”

“On peut même plus sortir ! C’est nul !” protestaient les passagers. “Que se passe-t-il ? C’est absurde !”

Michaël se tourna vers Nana, qui contenait difficilement sa rage. Ce dernier expliqua :

— Plusieurs contingents de puissances de Hod se sont amarrés au vaisseau.

— Els me cherchent ? 

— Bien sûr qu’els te cherchent ! Puisque tu as jugé bon de te faire remarquer par l’autre idiot de capitaine là. El sera bien content de rendre à Ennead son précieux Fitzarch. Cela lui permettra de se faire pardonner bien des choses…

Ce fut au tour de Michaël de bouillonner. 

— Tu m’as menti ! pesta Michaël en transperçant Nana de son regard froid, qui paraissait malgré son déguisement. 

— Menti ? 

— Géhenna n’est pas une chorale diplomatique !

— Oui ! Et alors ? Tu as une noix à la place du cerveau ? Tu pensais que Monsieur S allait envoyer qui pour te faire venir jusqu'à chez lui incognito ? Son petit neveu ? Ses troupes de puissances tout en armure rouge ? Ou bien son équipe inexistante d’intervention furtive ?

— Je pensais que toi et Vilanel travailliez pour la milice de Madim ! Pas pour je ne sais quelle kabbale dans l’État profond de Guebourah. 

— Oh ! Rien que ça ? Tu as peur de moi ?! Ou alors en tant que barbouze je suis pas digne de t’accompagner c’est ça ? Tu ferais mieux de te taire et de prier pour que les hodiens ne nous découvrent pas. Tu n’es même pas encore arrivé à Madim que déjà, tu trahis la milice en faisant tout foirer. 

— Je ne pensais pas que mon déguisement tomberait rien qu’en ouvrant ma bouche ! se défendit Michaël. 

— Zinebiel sait repérer le Sang d’Adam ! C’est pour ça que je t’ai dit de ne pas l’approcher !

— Pourquoi m’avez-vous fait embarquer dans ce vaisseau de toute façon ? ragea Michaël en n’en démordant pas. N’y en avait-il pas d’autres avec des capitaines qui ignoraient vos activités secrètes ? Avoir un capitaine complice ou totalement ignorant aurait été bien plus prudent que d’en avoir un lucide et mécontent.

— On a fait comme on a pu ! protesta Nana. Tu as eu ta crise cardiaque avec les fragments de Laevatein là. Ça nous a mis en retard. Initialement, on devait embarquer dans un autre vaisseau où personne ne pourrait te sentir... 

Une alarme résonna alors dans le nid, provoquant encore plus l’ire des centaines d’occupants. Un confinement ferme venait d’être décrété. Michaël et Nana restèrent accroupis dans leur coin. 

— Des puissances de Hod me cherchent donc, soupira Michaël. On fait quoi ?

— On attend.

— On attend qu’els débarquent ici et qu’els me retrouvent ?

Nana se mordit les lèvres, toujours très énervé. Michaël insista :

— Si els savent qui nous sommes, il faut qu’on sorte, qu’on se cache ailleurs. On n’peut pas se cacher dans le Reflet ?

— Non, dit Nana. Je ne peux pas y rester des heures, je n’suis pas un initié. C’est pour ça que tu as été noyé là…

Michaël râla intérieurement. Pourquoi Géhenna avait envoyé Nana pour l’escorter si el n’était pas capable de le protéger correctement ? Vilanel semblait bien plus compétent. Et encore… Pour un projet de domination, tout ceci semblait mal organisé, mal anticipé. Michaël se garda d’exprimer son mécontentement. Ici, el ne pouvait compter que sur Nana. 

— On peut quand même le traverser ponctuellement ? Comme tu viens de le faire en traversant un miroir ?

— Ça ne sera pas agréable, mais oui…

— Ok. Donc si on bouge via le Reflet dès que les hodiens s’approchent de nous, els ne nous trouverons pas.

Els ne peuvent pas être suffisamment nombreux pour contrôler tout le vaisseau en même temps.

— Ah, donc tu veux jouer à la pire version imaginable du jeu du chat et de la souris ?

— Je sais pas ce qu’est un chat ou une souris mais… le but serait de leur échapper quoi.

— T’as raison, dit simplement Nana. Notre nid est le premier endroit qu’els vont contrôler. Faut qu’on bouge. Vite. Mais où ? Faut pas que les autres nous voient entrer et sortir des miroirs. Il y a les vestiaires mais comme tu as vu…

— On peut aller dans une maison close. Il y en a à bord, je l’ai vu dans le registre. Je suis sûr qu’on peut trouver pas mal de miroirs là-bas, et que les élohim ne poseront pas trop de questions. De plus, ça ne sera pas le premier endroit où les hodiens me chercheront… 
Nana se figea quelques instants, puis son regard pétillant se ralluma. El sourit, plissant des yeux comme à son habitude. Puis el se leva et attrapa Michaël par le bras. Le jeune prince lutta contre l’envie de se dégager de l’emprise. Nana parvint à retourner dans les vestiaires en criant.

— EL est malade ! El est malade ! Attention el va vomir !

Affolés, les élohim qui occupaient l’endroit s’enfuirent. Nana ferma la porte derrière eux et poussa sans tarder Michaël dans le grand miroir qui ornait la petite pièce. 

Malgré son expérience récente, Michaël paniqua de nouveau lorsque la noyade du Reflet s’abattit sur el. Nana parvint cependant rapidement à trouver le chemin vers sa destination. Quelques instants plus tard, el et Michaël traversèrent un nouveau miroir et tombèrent sur une moquette molle, dans un boudoir de velours. 

“Ooooh” firent des voix lascives. 

Sur un matelas au sol, trois élohim nus s’adonnaient aux arts de l’amour. Els observèrent fascinés Michaël reprendre son souffle, alors que Nana ricanait. 

— Oh, vous êtes apparus là comme des bénédictions féériques, soupira l’un des élohim. Ses yeux, tout comme ceux de ses partenaires, étaient embuées par le lait de nuage et le jus de grenade. 

— Souhaitez-vous nous joindre à nous ? demanda un autre.

— C’est gentil mais non merci, clama Nana. Nous sommes des voyeurs. 

Plus qu’embarrassé, Michaël tira sur la manche de son compagnon. Mais soudain, el se pencha en avant, ouvrit grand la bouche et vomit une gorgée de sang rouge. Nana jura, tira Michaël et sortit en trombe de la chambre. Michaël cria à son tour, une supplique d’agonie. El tint son estomac, qui semblait sur le point d’exploser. Nana le traina entre une foule d’élohim désinhibés par le jus de grenade. Els dansaient, s’embrassaient, s’esclaffaient. Heureusement, Michaël ne leur sembla être qu’un jeune novice surprit par la puissance de la boisson. Enfin, Nana trouva une chambre vide et jeta Michaël sur le lit de velours et de soie bordeaux. Le jeune prince convulsa sous la douleur dans son abdomen. Au-dessus de lui, Nana s’affaira, l’inquiétude pulsant dans son halo.

— Par EL, par EL, par EL, qu’est-ce que tu me fais encore ? Enfant maudit…

Nana sonda le corps de Michaël du bout de ses doigts. Des filets de lumière traversèrent la peau du jeune prince pour explorer ses entrailles. 

— Oh, je vois petit prince… C’est ma faute…

Michaël sanglota. Jamais el n’avait ressenti une telle douleur, même sous les assauts de Burrhus. Nana tissa une thaumaturgie anesthésiante. Michaël le laissa entrer dans son halo sans broncher et la douleur se calma juste un petit peu. Nana n’était pas médecin et n’était pas non plus de basse génération. Ses pouvoirs sur Michaël étaient faibles. Mais el était un agent de Géhenna, malin, versatile. 

— C’est pas mon premier rodéo, morveux. 

Nana tissa un long fil de mercure. Puis el bascula la tête de Michaël en arrière et fit enter son appareil dans sa gorge, son œsophage, son estomac. El attrapa l’objet étranger et le sorti du corps de Michaël. Le jeune prince, choqué, perdit alors connaissance. Nana râla, sans paniquer. El fit passer l’objet extrait entre ses mains. C’était le petit cristal sombre, gonflé et craquelé comme un morceau de lave en fusion. Couvert de mercure liquide, il brûlait. 

— Akshokaa ! s’émerveilla Nana.

— Il est à moi, croassa Michaël, qui venait de reprendre conscience.

Nana lui lança un regard amusé.

— Tu n’as aucune idée de ce qu’est devenu cette petite chose. 

— Non. Mais il est à moi quand même. Et tu vas m’expliquer.

Nana soupira, leva les yeux au ciel sans rien dire. Michaël se redressa, à bout de souffle, tenant encore son estomac meurtrit. 

— Rends-le-moi ! gronda le jeune prince.

Nana jeta le cristal sur ses genoux. Michaël le prit entre ses doigts, l’étudia.

— T’as bu la tasse quand je t’ai fait traverser le Reflet, fit Nana. C’est ma faute, navré.

— Tu n’as pas l’air navré.

— T’as eu de la chance. T’as avalé un bout de l’espace-temps qui compose le Reflet. Et cet espace-temps s’est uni au cristal que tu avait dans ton estomac. Tu réalises ce que ça signifie ? 

— Non.

— Tu as obtenu un akshoka !

— Un atchoum ? 

— Un akshoka ! répéta Nana. C’est un artefact très puissant ! Un concentrateur thaumaturgique hyper rare !

Michaël commença enfin à comprendre. Un concentrateur thaumaturgique était un objet qui démultipliait la puissance des élohim, de leurs sorts. Les cristaux lambdas étaient souvent des concentrateurs. Mais là…

— Seuls les plus initiés au Reflet en ont d’habitude, continua d’expliquer Nana. Par miracle, alors que ton estomac aurait simplement dû exploser, tu as réussi à en synthétiser un. 

Michaël soupira. J’ai ruiné le cristal ? Non, non… Il faut que je le donne à Euthanatos…

— Je comprends pas… Comment j’ai pu synthétiser ça ?

— Ça se fait automatiquement, prétexta Nana. 

— Non… Tu me dis pas tout. Ce cristal… À Kokab, où je l’ai étudié, je n’ai pas pu m’y connecter. Je n’ai pas eu le temps de mener plus de recherches mais…  Voilà que soudain, il se transforme… C’est pas un cristal normal, je le sais, sinon Nakirée ne m’aurait pas demandé de le garder sauf. Tu sais ce que c’est à la base n’est-ce pas ?

Nana sourit, énigmatique. El s’était remis à tisser. Entre ses mains, de ses fils lumineux, el créa une concoction douce et blanche qu’el fit avaler par le jeune prince. Son estomac s’apaisa. 

— Il faut que j’ailles te trouver d’autres médicaments, dit finalement Nana. 

— Quoi ? Pourquoi ? 

— Mon cataplasme ne sera pas suffisant pour protéger tes entrailles de ce que tu as avalé dans le Reflet. Il te faut un traitement spécial. Mais je ne sais pas le tisser.

— Il me faut un purgeon, comprit Michaël.

— Oui, fit Nana, surprit.

— Il doit y en avoir ici, de quoi rincer le jus de grenade des entrailles des clients…

— Je sais bien, ça pourrait suffire le temps qu’on arrive à Madim.
Michaël déglutit, la bouche pâteuse, l’abdomen endoloris. 

— Nous ne devons pas nous séparer, avertit Nana. Es-tu capable de te lever ?

Michaël acquiesça, bravant la douleur. El finit par se lever. Nana ouvrit la porte de la chambre, glissa un regard dans le couloir feutré. La fête battait son plein dans la maison des plaisirs. Des voix lascives résonnaient sous la musique très entrainante. Rien qu’à l’écouter, Michaël trouva la force de marcher hors de sa cachette et avança avec Nana vers le grand salon central. L’endroit était un œuf géant, large de plusieurs milliers de mètres carrés, constitué de plusieurs niveaux où différentes pistes de danse étaient installées, avec des bars qui servaient du délicieux jus de grande enivrant. Partout, dans les airs ou au sol, des élohim se déhanchaient sur un rythme endiablé, joué par des principautés musiciennes. Ces dernières étaient installées au sommet de l’œuf, sur une scène immense où des danseurs professionnels offraient une performance remarquable. Leur beauté frappa Michaël alors même qu’el n’avait cherché à les voir. Els portaient des tenues multicolores et scintillantes, qui révélaient leurs corps souples et sensuels. Leurs mouvements étaient d’une grâce incroyable. 

Michaël détourna le regard, mais el vit encore ce spectacle au loin devant-el. Confus, el battit des paupières, avant de comprendre. La scène était projetée à chaque niveau de l’œuf, dans toute sa splendeur et dans toutes ses dimensions. Cela était permis par le travail des ophanim, qui déchiraient et recousaient l’espace-temps, le manipulant à leur guise. Ainsi, pas la peine de se précipiter pour avoir une bonne vue de la scène. Grâce à une thaumaturgie qui tordait l’espace-temps, elle apparaissait à tous les élohim de manière égale. 

— On aurait dû venir ici plus tôt, remarqua Nana.

Ce dernier entraina Michaël vers le bar et y commanda le purgeon. Nana tendit le remède à Michaël. C’était un liquide beige, contenu dans une fiole. Michaël commença à tisser dessus pour le renforcer. El et Nana s’installèrent sur des canapés, sur le côté du salon. 

— On a de la chance. Les hodiens n’ont pas encore débarqué ici, dit Nana. 

La maison close était elle aussi confinée mais ses occupants ne semblaient pas agacés par la situation. Les turbulences n’étaient pas si rares lors des voyages intercélestes. Agglutinés par centaines autour de la scène, els acclamaient les danseurs sensuels, tandis que d’autres allaient et venaient en direction des chambres. Michaël et Nana restèrent sur les canapés qui surplombaient la piste de danse, trop inquiets pour pouvoir profiter de l’endroit. Els se tenaient prêt à déguerpir dès que les hodiens arriveraient. 

— On est peut-être confinés mais le vaisseau continue d’avancer, répétait Nana, agité. On s’échappera autant de fois qu’il le faudra. Nos halos sont brouillés par le sang d’Adam. Els ne pourront pas nous traquer. Une fois qu’on sera à Guebourah on sortira par le Reflet pour rejoindre la milice. 

— Il n’y aura pas d’interférences avec le… l’akshoka ?

— Je penses pas. Tant que tu le trifouille pas. Évite quand même de reboire la tasse. 

Pressé de mettre son plan en œuvre, Nana se dandina sur la musique mais n’osa quitter le canapé. Cependant, des heures passèrent et les hodiens ne vinrent pas. Michaël avala le purgeon renforcé, qui à l’intérieur d’el, commença à capter tout corps étranger pour les accumuler dans ses reins. Dans quelques heures, els seraient évacués par les voies naturelles présentes même chez les élohim.

Ignorant le confinement, les fêtards, eux continuèrent leur bringue. Les principautés qui travaillaient là offrirent tout un spectacle à leurs clients. Les numéros de danse et de chant s’enchaînèrent en grande pompe. Les costumes aussi beaux qu’extravaguant volèrent pour révéler encore et encore des corps parfaits. Parmi le public, les friandises et les drogues les plus délicieuses circulèrent à volonté. Michaël finit par laisser son esprit voguer sur le plaisir procuré à tous ses sens. Sa crainte disparut, enveloppée par la beauté qu’el captait, les scintillements et les sons de l’extase. Soudain, Nana se mit à rire, rire et rire encore.

— Quoi ? Pourquoi tu rigole ? demanda Michaël, se retenant de rire à son tour. 

— Tu fais une tête, on dirait que t’as jamais battu des ailes dans une maison close. T’as pas l’habitude de ce genre d’établissement mmh ?

— Non, avoua Michaël en rougissant. 

— Oh non ! Tu mens ! Tu mens ! Tu fais l’innocent et tu mens ! 

— Quoi ?! Non ! 

— Je sais bien que vous les nobl’ailes avez aussi vos maisons closes, toujours à portée d’un battement d’aile, clama Nana. Mais vos maisons là, elles sont peuplées d’azohim. 

— La prostitution des azohim a été interdite par le Porteur de Lumière lui-même, rappela Michaël. 

— Oh mais il me semble que Raphaël et sa bande, toi inclus, êtes des clients fidèles des bordels de Nogah.

— Non, je fais pas partie de cette “bande”. Et je cautionne pas la décadence des royaumes du pilier de la miséricorde. J’aime pas aller à Netzach ! C’est une perte de temps alors qu’on devrait aller au front !

— Oh par EL ! T’es vraiment chiant toi. 
Michaël s’apprêtait à répondre lorsqu’el sentit soudain un parfum incroyable, porté par une brise nouvelle. 

— Oh, quelqu’un a ouvert une fenêtre sur un jardin de Nogah dit donc ! s’extasia Nana. 
Sur la scène, une nouvelle principauté venait de faire son apparition. Le public de toute la maison poussa des cris hystériques en s’agglutinant autour des projections de la plateforme. 

“Sasha ! Sasha ! Sacha !” 

— Sasha ! s’exclama Nana. Je l’adore ! El est magnifique !

Michaël observa la star, qu’el ne connaissait pas contrairement à Nana. Était-el guébouréen ? Sasha avait des cheveux volumineux et frisés. Sa peau était dorée et ses yeux noisette pétillaient. El était enveloppé de la tête au pied dans un épais costume de velours. Une nouvelle mélodie retentit et la principauté se mit à chanter. Au bout de quelques vers, el envoya valser son manteau pour révéler un costume scintillant, qui ne laissa aucune place à l’imagination. Accompagné d’autres danseurs, Sasha se lança dans une chorégraphie aussi gracieuse que sensuelle et entraînante. Michaël et Nana se levèrent pour s’unir à l’acclamation générale. Mais jusqu’ici, Sasha ne proposait rien de plus que les autres danseurs qui avaient occupé la scène avant el. Michaël se demanda pourquoi la principauté agitait tant les élohim. El eut sa réponse quelques instants plus tard. 

Lorsque Sasha entama sa deuxième chanson, une ambiance étrange s’installa. L’hystérie continua, mais un sentiment feutré d’apaisement gagna les esprits de chacun. Les halos, qui clignotaient à tout-va, retrouvèrent une lueur douce et stable. Michaël et Nana se sentirent parfaitement calmes, sereins. L’air devint chaud et frais à la fois, la température se pliant au besoin de chaque éloha. La brise continua de porter un parfum exquis, unique à Sasha. Puis l’air commença à vibrer. Sous le regard captivant de Sasha, tous les élohim sentirent l’espace caresser leurs corps, les envoyant dans une extase ailleurs interdite. 

Ainsi le spectacle de Sasha, qui caressait tout le monde du regard, commença et continua. Les chansons originales, toujours endiablées, s’enchainèrent. Elles durèrent chacune très longtemps, emportant à chaque fois le public dans un tunnel de sensations, sans lumière à l’horizon. Mais en même temps, elles furent toutes trop courtes. Michaël refusa de sortir de chacun de ces tunnels d’extase, et ne se calma que lorsqu’el en pénétra un nouveau. Plus rien n’eut d’importance. Seul le regard sensationnel de Sasha compta. La star ne lâcha pas Michaël des yeux. El chanta et dansa pour le prince des heures durant, incapable de le lasser. Du moins, c’est-ce que Michaël perçu. Finit les causes, les conséquences, l’espace-temps et ses lois cosmiques étaient à présent sous le joug de Sasha. La lumière émeraude de son halo baignait l’univers, soumettant chaque molécule à son propre désir. Sasha s’était approprié la réalité. La réalité n’était plus que Sasha.

Quand la musique s’arrêta, les élohim s'agenouillèrent devant Sasha, apaisés, mais toujours envoutés. Contrairement aux autres, des sentiments violents envahirent Michaël. Il me le faut, il me faut Sasha. Mais comment attirer l’attention de la star ? Des milliers d’élohim se relevaient déjà mollement pour attirer son attention et espérer passer rien que quelques minutes dans la chambre de la divine principauté. Mais l’apaisement finissait par les terrasser. Sauf chez Michaël, qui était de trop basse génération pour subir la thaumaturgie de toutes évidence jetée sur le public pour éviter les débordements. Il faut que je me révèle, pensa Michaël, el ne pourra rejeter les avances d’un Fitzarch. Michaël s’approcha de la scène, marchant entre les fêtards épuisés par l’extase. 

Sur la scène, Sasha avait disparu, tout comme ses danseurs. Une musique rythmée résonnait, comme pour réveiller le public après un rêve endiablé. Michaël arriva devant la projection de la scène et étudia le rideau dressé au fond. Dans une infime ouverture, el capta le regard de la star. El l’observait ! 

J’ai gagné son attention !

Sasha fit glisser son regard, si doux et envoutant, sur Michaël. En un battement d’aile, le prince entra dans la projection et franchit le rideau. El atterrit devant la sublime principauté. Cette dernière, qui ne portrait plus qu’un bikini argenté, prit la main de Michaël et la porta à ses lèvres. Le baiser embrasa Michaël tout entier, corps et âme. Sasha recula, la main du prince toujours dans la sienne. El l’emporta dans l’arrière scène, en direction de sa chambre.

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